Quand le père Leras, teneur de livres chez MM. Labuze et Cie sortit du magasin, il demeura quelques instants ébloui par l’éclat du soleil couchant. Il avait travaillé tout le jour sous la lumière jaune du bec de gaz, au fond de l’arrière-boutique, sur la cour étroite et profonde comme un puits. La petite pièce où depuis quarante ans il passait ses journées était si sombre que, même dans le fort de l’été c’est à peine si on pouvait se dispenser de l’éclairer de onze heures à trois heures. Lire la suite
Archives pour la catégorie XIXe siècle
LES IDÉES DU COLONEL
— Ma foi, dit le colonel Laporte, je suis vieux, j’ai la goutte, les jambes raides comme des poteaux de barrière, et cependant, si une femme, une jolie femme, m’ordonnait de passer par le trou d’une aiguille, je crois que j’y sauterais comme un clown dans un cerceau. Je mourrai ainsi, c’est dans le sang. Je suis un vieux galantin, moi, un vieux de la vieille école. La vue d’une femme, d’une jolie femme, me remue jusque dans mes bottes. Voilà.
D’ailleurs nous sommes tous un peu pareils, en France, messieurs. Nous restons des chevaliers quand même, les chevaliers de l’amour et du hasard, puisqu’on a supprimé Dieu, dont nous étions vraiment les gardes du corps. Lire la suite
L’ABANDONNÉ
— Vraiment, je te crois folle, ma chère amie, d’aller te promener dans la campagne par un pareil temps. Tu as, depuis deux mois, de singulières idées. Tu m’amènes, bon gré, mal gré, au bord de la mer, alors que jamais, depuis quarante-cinq ans que nous sommes mariés, tu n’avais eu pareille fantaisie. Tu choisis d’autorité Fécamp, une triste ville, et te voilà prise d’une telle rage de locomotion, toi qui ne remuais jamais, que tu veux te promener à travers champs par le jour le plus chaud de l’année. Dis à d’Apreval de t’accompagner, puisqu’il se prête à tous tes caprices. Quant à moi, je rentre faire la sieste. Lire la suite
LE RETOUR
La mer fouette la côte de sa vague courte et monotone. De petits nuages blancs passent vite à travers le grand ciel bleu, emportés par le vent rapide, comme des oiseaux ; et le village, dans le pli du vallon qui descend vers l’océan, se chauffe au soleil.
Tout à l’entrée, la maison des Martin-Lévesque, seule, au bord de la route. C’est une petite demeure de pêcheur, aux murs d’argile, au toit de chaume empanaché d’iris bleus. Un jardin large comme un mouchoir, où poussent des oignons, quelques choux, du persil, du cerfeuil, se carre devant la porte. Une haie le clôt le long du chemin. Lire la suite