J’ai voulu conter cette histoire, à l’occasion de l’année qui vient, pour prouver aux jeunes gens trop disposés à la raillerie qu’il est toujours malséant et parfois dangereux de se gausser des malheureux. Fasse le ciel que ce récit produise son effet, et que la nouvelle année soit exempte de déplorables plaisanteries et de méchants brocards ! Lire la suite
Archives pour la catégorie XIXe siècle
UNE MORT BIZARRE
La plus forte marée du siècle (c’est la quinzième que je vois et j’espère bien que cette jolie série ne se clora pas de sitôt) s’est accomplie mardi dernier, 6 novembre.
Joli spectacle, que je n’aurais pas donné pour un boulet de canon, ni même deux boulets de canon, ni trois.
Favorisée par une forte brise S.-O., la mer clapotante affleurait les quais du Havre et s’engouffrait dans les égouts de ladite ville, se mélangeant avec les eaux ménagères, qu’elle rejetait dans les caves des habitants.
Les médecins se frottaient les mains :
« Bon, cela ! se disaient-ils ; à nous les petites typhoïdes! »
Car, le croirait-on ? le Havre-de-Grâce est bâti de telle façon que ses égouts sont au-dessous du niveau de la mer. Aussi, à la moindre petite marée, malgré l’énergique résistance de M. Rispal, les ordures des Havrais s’épanouissent, cyniques, dans les plus luxueuses artères de la cité.
Ne vous semble-t-il pas, par parenthèse, que ce saligaud (1) de François Ier, au lieu de traîner une existence oisive dans les brasseries à femmes du carrefour Buci, n’aurait pas mieux fait de surveiller un peu les ponts et chaussées de son royaume.
N’importe ! c’était un beau spectacle.
Je passai la plus importante partie de ma journée sur la jetée, à voir entrer des bateaux et à en voir sortir d’autres.
Comme la brise fraîchissait, je relevai le collet de mon pardessus. Je m’apprêtais à en faire autant pour le bas de mon pantalon (je suis extrêmement soigneux de mes effets), quand apparut mon ami Axelsen.
Mon ami Axelsen est un jeune peintre norvégien, plein de talent et de sentimentalité.
Il a du talent à jeun et de la sentimentalité le reste du temps.
À ce moment, la sentimentalité dominait.
Était-ce la brise un peu vive ? était-ce le trop-plein de son cœur ?… ses yeux se remplissaient de larmes.
— Eh bien ! fis-je, cordial, ça ne va donc pas, Axelsen ?
— Si, ça va. Spectacle superbe, mais douloureux souvenir. Toutes les plus fortes marées du siècle brisent mon pauvre cœur.
— Contez-moi ça.
— Volontiers, mais pas là.
Et il m’entraîna dans la petite arrière-boutique d’un bureau de tabac où une jeune femme anglaise, plutôt jolie, nous servit un swenska-punch de derrière les fagots.
Axelsen étancha ses larmes, et voici la navrante histoire qu’il me narra :
— Il y a cinq ans de cela. J’habitais Bergen (Norvège) et je débutais dans les arts. Un jour, un soir plutôt, à un bal chez M. Isdahl, le grand marchand de rogues, je tombai amoureux d’une jeune fille charmante à laquelle, du premier coup, je ne fus pas complètement indifférent. Je me fis présenter à son père et devins familier de la maison. C’était bientôt sa fête. J’eus l’idée de lui faire un cadeau mais quel cadeau ?… Tu ne connais pas la baie de Vaagen ? Lire la suite
APHASIE
Celle-là, par exemple, dépassait tout ce que le capitaine Lemballeur avait vu de plus raide, et, mille pétards de Dieu ! il en avait vu de raides, le capitaine Lemballeur, dans toutes ses campagnes, en Crimée, au Mexique et partout, et partout, mille pétards de Dieu !
Le médecin, un jeune major frais émoulu du Val-de-Grâce, ne se démontait pas.
— Mais enfin, docteur, tonitruait le capitaine, vous ne me ferez croire que ce pétard de Dieu de clairon ne s’est pas f… de moi dans les grandes largeurs ! Lire la suite
TENUE DE FANTAISIE
Après une frasque plus exorbitante que les précédentes — et Dieu sait si parmi les précédentes il s’en trouvait d’un joli calibre ! — le jeune vicomte Guy de La Hurlotte fut invité par son père à contracter un engagement de cinq ans dans l’infanterie française.
Guy, dont la devise était qu’on peut s’amuser partout, demanda seulement qu’on ne l’envoyât pas trop loin de Paris.
— Pourquoi pas tout de suite à la caserne de la Pépinière, à deux pas du boulevard ? s’écria le terrible comte. Non, mon garçon, tu iras au Sénégal. Lire la suite