Archives pour la catégorie Gautier, Théophile (1811-1872)

DE L’OBÉSITÉ EN LITTÉRATURE

L’homme de génie doit-il être gras ou maigre ? chair ou poisson ? et peut-il ou non se manger les vendredis et les jours réservés ?

— C’est une question assez difficile à résoudre.

Quand j’étais jeune (ne pas confondre avec le roman du défunt Bibliophile), et il n’y a pas fort longtemps de cela, j’avais les plus étranges idées à l’endroit de l’homme de génie, et voici comment je me le représentais.

Un teint d’orange ou de citron, les cheveux en flamme de pot à feu, des sourcils paraboliques, des yeux excessifs, et la bouche dédaigneusement bouffie par une fatuité byronienne, le vêtement vague et noir, et la main nonchalamment passée dans l’hiatus de l’habit. Lire la suite

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FEUILLETS DE L’ALBUM D’UN JEUNE RAPIN

I

 

VOCATION

 

Je ne répéterai pas cette charge trop connue qui fait commencer ainsi la biographie d’un grand homme : « Il naquit à l’âge de trois ans, de parents pauvres mais malhonnêtes. » Je dois le jour (le leur rendrai-je ?) à des parents cossus mais bourgeois, qui m’ont infligé un nom de famille ridicule, auquel un parrain et une marraine, non moins stupides, ont ajouté un nom de baptême tout aussi désagréable. N’est-ce pas une chose absurde que d’être obligé de répondre à un certain assemblage de syllabes qui vous déplaisent ? Soyez donc un grand maître en vous appelant Lamerluche, Tartempion ou Gobillard ? À vingt ans, on devrait se choisir un nom selon son goût et sa vocation. On signerait à la manière des femmes mariées, Anafesto (né Falempin), Florizel (né Barbochu), ainsi qu’on l’entendrait ; de cette façon, des gens noirs comme des Abyssins ne s’appelleraient pas Leblanc, et ainsi de suite. Lire la suite

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UNE VISITE NOCTURNE

J’ai un ami, je pourrais en avoir deux ; son nom, je l’ignore, sa demeure, je ne la soupçonne pas. Perche-t-il sur un arbre ? se terre-t-il dans une carrière abandonnée ? Nous autres de la Bohème, nous ne sommes pas curieux, et je n’ai jamais pris le moindre renseignement sur lui. Je le rencontre de loin en loin, dans des endroits invraisemblables, par des temps impossibles. Suivant l’usage des romanciers à la mode, je devrais vous donner le signalement de cet ami inconnu ; je présume que son passe-port doit être rédigé ainsi « Visage ovale, nez ordinaire, bouche moyenne, menton rond, yeux bruns, cheveux châtains ; signes distinctifs : aucun. » C’est cependant un homme très-singulier. Il m’aborde toujours en criant comme Archimède « J’ai trouvé ! » car mon ami est un inventeur. Tous les jours, il fait le plan d’une machine nouvelle. Avec une demi-douzaine de gaillards pareils, l’homme deviendrait inutile dans la création. Tout se fait tout seul : les mécaniques sont produites par d’autres mécaniques, les bras et les jambes passent à l’état de pures superfluités. Mon ami, vrai puits de Grenelle de science, ne néglige rien, pas même l’alchimie. Le Dragon vert, le Serviteur rouge et la Femme blanche sont à ses ordres ; il a dépassé Raymond Lulle, Paracelse, Agrippa, Cardan, Flamel et tous les hermétiques. Lire la suite

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DEUX ACTEURS POUR UN RÔLE

I

 

UN RENDEZ-VOUS AU JARDIN IMPÉRIAL

 

On touchait aux derniers jours de novembre : le Jardin impérial de Vienne était désert, une bise aiguë faisait tourbillonner les feuilles couleur de safran et grillées par les premiers froids ; les rosiers des parterres, tourmentés et rompus par le vent, laissaient traîner leurs branchages dans la boue. Cependant la grande allée, grâce au sable qui la recouvre, était sèche et praticable. Quoique dévasté par les approches de l’hiver, le Jardin impérial ne manquait pas d’un certain charme mélancolique. La longue allée prolongeait fort loin ses arcades rousses, laissant deviner confusément à son extrémité un horizon de collines déjà noyées dans les vapeurs bleuâtres et le brouillard du soir ; au delà la vue s’étendait sur le Prater et le Danube : c’était une promenade faite à souhait pour un poète. Lire la suite

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