L’INTERMÉDIAIRE

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On ne pouvait risquer devant lui un : Tiens, je vais acheter une paire de gants, sans que, immédiatement, il intervînt : Veux-tu l’adresse d’un bon gantier ?

Il en était de même pour les chaussures, à cette différence près que c’était un bon bottier qu’il vous offrait.

Il en était de même pour tout, d’ailleurs : pour les bouchons de liège, les coffres-forts, les batteuses mécaniques, les momies, les fumivores, les monte-charges, les crocodiles adultes, en un mot pour tous les objets innombrables et multiformes dont l’acquisition ou la vente constituent ce que M. Pierre Delcourt appelle les transactions commerciales.

Un petit garçon mal élevé lui aurait dit qu’il voulait d’la peau, qu’il l’eût immédiatement envoyé chez un excellent mégissier pas cher.

Que pouvait lui rapporter cette éternelle et jamais lasse complaisance ? Oh ! les tout petits profits que cela devait faire !

Car mon pauvre ami ne semblait pas très riche. Et souvent, moi aussi, j’eus l’idée, à l’aspect de sa consternante lingerie, de lui donner l’adresse d’unbon chemisier.

 

Bien que ces choses-ci ne nous regardent, ni vous ni moi, laissez-moi vous dire qu’il ne fut pas en mesure de payer son récent terme d’octobre.

Il n’avait pas réglé, non plus, celui de juillet, et — pauvre type ! — pas davantage celui d’avril.

Furibard, le concierge, ne lui montait plus son courrier, uniquement composé, d’ailleurs, de prospectus, circulaires, périodiques furtifs, etc.

Le propriétaire s’en mêla et le menaça de papier timbré.

Et mon pauvre ami de lui dire pâlement :

Voulez-vous l’adresse d’un bon huissier ?

Source : Alphonse Allais. Pas de bile ! Flammarion, 1893.

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