LE MÉDECIN

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Monologue pour cadet

Pour avoir du toupet, je ne connais personne comme les médecins. Un toupet infernal ! Et un mépris de la vie humaine, donc !

Vous êtes malade, votre médecin arrive. Il vous palpe, vous ausculte, vous interroge, tout cela en pensant à autre chose. Son ordonnance faite, il vous dit : « Je repasserai », et — vous pouvez être tranquille, — il repassera, jusqu’à ce que vous soyez passé, vous, et trépassé.

Quand vous êtes trépassé, immédiatement un croque-mort vient lui apporter une petite prime des pompes funèbres.

Si vous résistez longtemps à la maladie et surtout aux médicaments, le bon docteur se frotte les mains, car ses petites visites et surtout la petite remise que lui fait le pharmacien font boule de neige et finissent par constituer une somme rondelette.

Une seule chose l’embête, le bon docteur : c’est si vous guérissez tout de suite.

Alors il trouve encore moyen de faire son malin et de vous dire, avec un aplomb infernal :

— Ah ! ah ! je vous ai tiré de là !

Mais de tous les médecins celui qui a le plus de toupet, c’est le mien, ou plutôt l’ex-mien, car je l’ai balancé, et je vous prie de croire que ça n’a pas fait un pli.

À la suite d’un chaud et froid, ou d’un froid et chaud, — je ne me souviens pas bien, — j’étais devenu un peu indisposé. Comme je tiens à ma peau, — qu’est-ce que vous voulez, on n’en a qu’une ! — je téléphonai à mon médecin, qui arriva sur l’heure.

Je n’allais déjà pas très bien, mais après la première ordonnance, je me portai tout à fait mal et je dus prendre le lit.

Nouvelle visite, nouvelle ordonnance, nouvelle aggravation.

Bref, au bout de, quelques jours, j’avais maigri d’un tas de livres… et même de kilos.

Un matin que je ne me sentais pas du tout bien, mon médecin, après m’avoir ausculté plus soigneusement que de coutume, me demanda :

— Vous êtes content de votre appartement ?

— Mais oui, assez.

— Combien payez-vous ?

— Trois mille quatre.

— Les concierges sont convenables ?

— Je n’ai jamais eu à m’en plaindre.

— Et le propriétaire ?

— Le propriétaire est très gentil.

— Les cheminées ne fument pas ?

— Pas trop.

Etc., etc…

Et je me demandais : Où veut-il en venir, cet animal-là ? Que mon appartement soit humide ou non, ça peut l’intéresser au point de vue de ma maladie, mais le chiffre de mes contributions, qu’est-ce que ça peut bien lui faire ?

Et malgré mon état de faiblesse, je me hasardai à lui demander :

— Mais, docteur, pourquoi toutes ces questions ?

— Je vais vous le dire, me répondit-il, je cherche un appartement, et le vôtre ferait bien mon affaire.

— Mais… je n’ai point l’intention de déménager !

— Il faudra bien pourtant dans quelques jours.

— Déménager ?

— Dame !

Et je compris !

Mon médecin jugeait mon état désespéré, et il ne me l’envoyait pas dire.

Ce que cette brusque révélation me produisit, je ne saurais l’exprimer en aucune langue.

Un trac terrible, d’abord, une frayeur épouvantable !

Et puis, ensuite, une colère bleue !

On ne se conduit pas comme ça avec un malade, avec un client, un bon client, j’ose le dire.

Ah ! tu veux mon appartement, mon vieux ? eh bien, tu peux te fouiller !

· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Quand vous serez malade, je vous recommande ce procédé-là : mettez-vous en colère. Ça vous fera peut-être du mal, à vous. Moi, ça m’a guéri.

J’ai fichu mon médecin à la porte.

J’ai flanqué mes médicaments par la fenêtre.

Quand je dis que je les ai flanqués par la fenêtre, j’exagère. Je n’aime pas à faire du verre cassé exprès, ça peut blesser les passants, et je n’aime pas à blesser les passants : Je ne suis pas médecin, moi !

Je me suis contenté de renvoyer toutes mes fioles au pharmacien avec une lettre à cheval.

Et il y en avait de ces fioles, et de ces paquets et de ces boîtes !

Il y en avait tant qu’un jour je m’étais trompé : je m’étais collé du sirop surl’estomac et j’avais avalé un emplâtre.

C’est même la seule fois où j’aie éprouvé quelque soulagement.

Et puis, j’ai renouvelé mon bail et je n’ai jamais repris de médecin.

Source : Alphonse Allais. À se tordre : histoires chatnoiresques, Paul Ollendorff, 1891.

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