L’ANNEAU NUPTIAL

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Yvonne d’Origny embrassa son fils et lui recommanda d’être bien sage.

— Tu sais que ta grand-mère d’Origny n’aime pas beaucoup les enfants. Pour une fois qu’elle te fait venir chez elle, il faut lui montrer que tu es un petit garçon raisonnable.

Et s’adressant à la gouvernante :

« Surtout, fraulein, ramenez-le tout de suite après dîner… Monsieur est encore ici ?

— Oui, Madame, Monsieur le comte est dans son cabinet de travail. »

Aussitôt seule, Yvonne d’Origny marcha vers la fenêtre afin d’apercevoir son fils dès qu’il serait dehors. En effet, au bout d’un instant, il sortit de l’hôtel, leva la tête et lui envoya des baisers comme chaque jour. Puis sa gouvernante lui prit la main d’un geste dont Yvonne remarqua, avec étonnement, la brusquerie inaccoutumée. Elle se pencha davantage et, comme l’enfant gagnait l’angle du boulevard, elle vit soudain un homme qui descendait d’une automobile et qui s’approchait de lui. Cet homme – elle reconnut Bernard, le domestique de confiance de son mari – cet homme saisit l’enfant par le bras, le fit monter dans l’automobile ainsi que la gouvernante, et donna l’ordre au chauffeur de s’éloigner.

Tout cela n’avait pas duré dix secondes.

Yvonne, bouleversée, courut jusqu’à la chambre, empoigna un vêtement se dirigea vers la porte.

La porte était fermée à clef, et il n’y avait point de clef sur la serrure.

En hâte elle retourna dans son boudoir.

La porte de son boudoir était fermée également.

Tout de suite, l’image de son mari la heurta, cette figure sombre qu’aucun sourire n’éclairait jamais, ce regard impitoyable où, depuis des années, elle sentait tant de rancune et de haine.

— C’est lui !… c’est lui !… se dit-elle… il a pris l’enfant… Ah ! c’est horrible !

À coups de poing, à coups de pied, elle frappa la porte, puis bondit vers la cheminée et sonna, sonna éperdument.

Du haut en bas de l’hôtel, le timbre vibra. Les domestiques allaient venir. Des passants, peut-être, s’ameuteraient dans la rue. Et elle pressait le bouton avec un espoir forcené.

Un bruit de serrure… La porte s’ouvrit violemment. Le comte apparut au seuil du boudoir. Et l’expression de son visage était si terrible qu’Yvonne se mit à trembler.

Il avança. Cinq ou six pas le séparaient d’elle. Dans un effort suprême, elle tenta un mouvement, mais il lui fut impossible de bouger, et, comme elle cherchait à prononcer des paroles, elle ne put qu’agiter ses lèvres et qu’émettre des sons incohérents. Elle se sentit perdue. L’idée de la mort la bouleversa. Ses genoux fléchirent, et elle s’affaissa sur elle-même avec un gémissement.

Le comte se précipita et la saisit à la gorge.

« Tais-toi… n’appelle pas… disait-il d’une voix sourde, cela vaut mieux pour toi… »

Voyant qu’elle n’essayait pas de se défendre, il desserra son étreinte et sortit de sa poche des bandes de toile toutes prêtes et de longueurs différentes. En quelques minutes la jeune femme eut les poignets liés, les bras attachés le long du corps, et fut étendue sur un divan.

L’ombre avait envahi le boudoir. Le comte alluma l’électricité et se dirigea vers un petit secrétaire où Yvonne avait l’habitude de ranger ses lettres. Ne parvenant pas à l’ouvrir, il le fractura à l’aide d’un crochet de fer, vida les tiroirs, et, de tous les papiers, fit un monceau qu’il emporta dans un carton.

« Du temps perdu, n’est-ce pas ? ricana-t-il. Rien que des factures et des lettres insignifiantes… Aucune preuve contre toi… Bah ! N’empêche que je garde mon fils, et je jure Dieu que je ne le lâcherai pas… »

Comme il s’en allait, il fut rejoint près de la porte par son domestique Bernard. Ils conversèrent tous deux à voix basse, mais Yvonne entendit ces mots que prononçait le domestique :

« J’ai reçu la réponse de l’ouvrier bijoutier. Il est à ma disposition. »

Et le comte répliqua :

« La chose est remise à demain midi. Ma mère vient de me téléphoner qu’elle ne pouvait venir auparavant. »

Ensuite Yvonne perçut le cliquetis de la serrure et le bruit des pas qui descendaient jusqu’au rez-de-chaussée où se trouvait le cabinet de travail de son mari.

 

Elle demeura longtemps inerte, le cerveau en déroute, avec des idées vagues et rapides qui la brûlaient au passage, comme des flammes. Elle se rappelait la conduite indigne du comte d’Origny, ses procédés humiliants envers elle, ses menaces, ses projets de divorce, et elle comprenait peu à peu qu’elle était la victime d’une véritable conspiration, que les domestiques, sur l’ordre de leur maître, avaient congé jusqu’au lendemain soir, que la gouvernante, sur l’ordre du comte et avec la complicité de Bernard, avait emmené son fils, et que son fils ne reviendrait pas, et qu’elle ne le reverrait jamais.

« Mon fils ! cria-t-elle, mon fils !… »

Exaspérée par la douleur, de tous ses nerfs, de tous ses muscles, elle se raidit, en un effort brutal. Elle fut stupéfaite : sa main droite conservait une certaine liberté.

Alors un espoir fou la pénétra, et patiemment, lentement, elle commença l’œuvre de délivrance.

Ce fut long. Il lui fallut beaucoup de temps pour élargir le nœud suffisamment, et beaucoup de temps ensuite, quand sa main fut dégagée, pour défaire les liens qui nouaient le haut de ses bras à son buste, puis ceux qui emprisonnaient ses chevilles.

Cependant l’idée de son fils la soutenait, et, comme la pendule frappait huit coups, la dernière entrave tomba. Elle était libre !

À peine debout, elle se rua sur la fenêtre et tourna l’espagnolette avec l’intention d’appeler le premier passant venu. Justement, un agent de police se promenait sur le trottoir. Elle se pencha. Mais l’air vif de la nuit l’ayant frappée au visage, plus calme, elle songea au scandale, à l’enquête, aux interrogatoires, à son fils. Mon Dieu ! mon Dieu ! Que faire pour le reprendre ? Par quels moyens s’échapper ? Au moindre bruit, le comte pouvait survenir. Et qui sait si, dans un mouvement de rage…

Des pieds à la tête elle frissonna, prise d’une épouvante subite. L’horreur de la mort se mêlait, en son pauvre cerveau, à la pensée de son fils, et elle bégaya, la gorge étranglée :

« Au secours… Au secours… »

Elle s’arrêta net, et redit tout bas, à plusieurs reprises : « Au secours… au secours… » comme si ce mot éveillait en elle une idée, une réminiscence, et que l’attente d’un secours ne lui parût pas une chose impossible. Durant quelques minutes, elle resta absorbée en une méditation profonde, coupée de pleurs et de tressaillements. Puis, avec des gestes pour ainsi dire mécaniques, elle allongea le bras vers une petite bibliothèque suspendue au-dessus du secrétaire, saisit les uns après les autres quatre livres qu’elle feuilleta distraitement et remit en place, et finit par trouver entre les pages du cinquième une carte de visite où ses yeux épelèrent ces deux mots : Horace Velmont, et cette adresse écrite au crayon : Cercle de la rue Royale.

Et sa mémoire évoqua la phrase bizarre que cet homme lui avait dite quelques années auparavant en ce même hôtel, un jour de réception :

« Si jamais un péril vous menace, si vous avez besoin de secours, n’hésitez pas, jetez à la poste cette carte que je mets dans ce livre et quelle que soit l’heure, quels que soient les obstacles, je viendrai. »

Avec quel air étrange il avait prononcé une telle phrase, et comme il donnait l’impression de la certitude, de la force, de la puissance illimitée, de l’audace indomptable !

Brusquement, inconsciemment, sous la poussée d’une décision irrésistible et dont elle se refusait à prévoir les conséquences, Yvonne, avec ses mêmes gestes d’automate, prit une enveloppe pneumatique, introduisit la carte de visite, cacheta, inscrivit les deux lignes : Horace Velmont, Cercle de la rue Royale et s’approcha de la fenêtre entre-bâillée. Dehors l’agent de police déambulait. Elle lança l’enveloppe, la confiant au hasard. Peut-être ce chiffon de papier serait-il ramassé, et, comme une lettre égarée, mis à la poste.

Elle n’avait pas accompli cet acte qu’elle en saisit toute l’absurdité. Il était fou de supposer que le message irait à son adresse, et plus fou encore d’espérer que l’homme qu’elle appelait pourrait venir à son secours, quelle que fût l’heure et quels que fussent les obstacles.

Une réaction se produisit, d’autant plus vive, que l’effort avait été plus rapide et plus brutal. Yvonne chancela, s’appuya contre un fauteuil et se laissa tomber, à bout d’énergie.

Alors le temps s’écoula, le temps morne des soirées d’hiver où les voitures interrompent seules le silence de la rue. La pendule sonnait, implacable. Dans le demi-sommeil qui l’engourdissait, la jeune femme en comptait lestintements. Elle percevait aussi certains bruits à différents étages de la maison, et savait de la sorte que son mari avait dîné, qu’il montait jusqu’à sa chambre et redescendait dans son cabinet de travail. Mais tout cela lui semblait très vague, et sa torpeur était telle qu’elle ne songeait même pas à s’étendre sur le divan, pour le cas où il entrerait…

Les douze coups de minuit… Puis la demie… Puis une heure… Yvonne ne réfléchissait à rien, attendant les événements qui se préparaient et contre lesquels toute rébellion était inutile. Elle se représentait son fils et elle-même, comme on se représente ces êtres qui ont beaucoup souffert et qui ne souffrent plus, et qui s’enlacent de leurs bras affectueux. Mais un cauchemar la secoua. Voilà que, ces deux êtres, on voulait les arracher l’un à l’autre, et elle avait la sensation affreuse, en son délire, qu’elle pleurait, et qu’elle râlait…

D’un mouvement, elle se dressa. La clef venait de tourner dans la serrure. Attiré par ses cris, le comte allait apparaître. Du regard, Yvonne chercha une arme pour se défendre. Mais la porte fut poussée vivement, et, stupéfaite, comme si le spectacle qui s’offrait à ses yeux lui eût semblé le prodige le plus inexplicable, elle balbutia :

« Vous !… vous !… »

Un homme s’avançait vers elle, en habit, son macferlane et son claque sous le bras, et cet homme jeune, de taille mince, élégant, elle l’avait reconnu, c’était Horace Velmont.

« Vous ! » répéta-t-elle.

Il dit en la saluant :

« Je vous demande pardon, madame, votre lettre ne m’a été remise que tard.

— Est-ce possible ! Est-ce possible que ce soit vous !… que vous ayez pu !… »

Il parut très étonné.

« N’avais-je pas promis de me rendre à votre appel ?

— Oui… mais…

— Eh bien, me voici, » dit-il en souriant.

Il examina les bandes de toile dont Yvonne avait réussi à se délivrer et hocha la tête, tout en continuant son inspection.

« C’est donc là les moyens que l’on emploie ? Le comte d’Origny, n’est-ce pas ? J’ai vu également qu’il vous avait emprisonnée… Mais alors, le pneumatique… Ah ! par cette fenêtre… Quelle imprudence de ne pas l’avoir refermée !

Il poussa les deux battants. Yvonne s’effara.

« Si l’on entendait !

— Il n’y a personne dans l’hôtel. Je l’ai visité.

— Cependant…

— Votre mari est sorti depuis dix minutes.

— Où est-il ?

— Chez sa mère, la comtesse d’Origny.

— Comment le savez-vous ?

— Oh ! très simplement. Il a reçu un coup de téléphone pendant que, moi, j’en attendais le résultat au coin de cette rue et du boulevard. Comme je l’avais prévu, le comte est sorti précipitamment, suivi de son domestique. Aussitôt, à l’aide de clefs spéciales, je suis entré. »

Il racontait cela le plus naturellement du monde, de même que l’on raconte, dans un salon, une petite anecdote insignifiante. Mais Yvonne demanda, reprise d’une inquiétude soudaine :

« Alors, ce n’est pas vrai ?… Sa mère n’est pas malade ?… En ce cas, mon mari va revenir…

— Certes, le comte s’apercevra qu’on s’est joué de lui, et, d’ici trois quarts d’heure au plus…

— Partons… je ne veux pas qu’il me retrouve ici… je rejoins mon fils.

— Un instant…

— Un instant !… Mais vous ne savez donc pas qu’on me l’enlève ? qu’on lui fait du mal, peut-être ?… »

La figure contractée, les gestes fébriles, elle cherchait à repousser Velmont. Avec beaucoup de douceur, il la contraignit à s’asseoir, et, incliné sur elle, l’attitude respectueuse, il prononça d’un ton grave :

« Écoutez-moi, madame, et ne perdons pas un temps dont chaque minute est précieuse. Tout d’abord, rappelez-vous ceci : nous nous sommes rencontrés quatre fois, il y a six ans… Et la quatrième fois, dans les salons de cet hôtel, comme je vous parlais avec trop… comment dirais-je ? avec trop d’émotion, vous m’avez fait sentir que mes visites vous déplaisaient. Depuis, je ne vous ai pas revue. Et pourtant, malgré tout, votre confiance en moi était telle que vous avez conservé la carte que j’avais mise entre les pages de ce livre, et que, six ans après, c’est moi, et pas un autre, que vous avez appelé. Cette confiance, je vous la demande encore. Il faut m’obéir aveuglément. De même que je suis venu à travers tous les obstacles, de même je vous sauverai, quelle que soit la situation.

La tranquillité d’Horace Velmont, sa voix impérieuse aux intonations amicales, apaisaient peu à peu la jeune femme. Toute faible encore, elle éprouvait de nouveau, en face de cet homme, une impression de détente et de sécurité.

« N’ayez aucune peur, reprit-il. La comtesse d’Origny habite à l’extrémité du bois de Vincennes. En admettant que votre mari trouve une auto, il est impossible qu’il soit de retour avant trois heures et quart. Or il est deux heures trente-cinq. Je vous jure qu’à trois heures exactement nous partirons et que je vous conduirai vers votre fils. Mais je ne veux pas partir avant de tout savoir.

« Que dois-je faire ? dit-elle.

— Me répondre, et très nettement. Nous avons vingt minutes. C’est assez. Ce n’est pas trop.

— Interrogez-moi.

— Croyez-vous que le comte ait eu des projets… criminels ?

— Non.

— Il s’agit donc de votre fils ?

— Oui.

— Il vous l’enlève, n’est-ce pas, parce qu’il veut divorcer et épouser une autre femme, une de vos anciennes amies, que vous avez chassée de votre maison ?… Oh ! je vous en conjure, répondez-moi sans détours. Ce sont là des faits de notoriété publique, et votre hésitation, vos scrupules, tout doit cesser actuellement, puisqu’il s’agit de votre fils. Ainsi donc, votre mari veut épouser une autre femme ?

— Oui.

— Cette femme n’a pas d’argent. De son côté, votre mari, qui s’est ruiné, n’a d’autres ressources que la pension qui lui est servie par sa mère, la comtesse d’Origny, et les revenus de la grosse fortune que votre fils a héritée de deux de vos oncles. C’est cette fortune que votre mari convoite et qu’il s’approprierait plus facilement si l’enfant lui était confié. Un seul moyen le divorce. Je ne me trompe pas ?

— Non.

— Ce qui l’arrêtait jusqu’ici, c’était votre refus ?

— Oui, et celui de ma belle-mère dont les sentiments religieux s’opposent au divorce. La comtesse d’Origny ne céderait que dans le cas…

— Que dans le cas ?…

— Où l’on pourrait prouver que ma conduite est indigne. »

Velmont haussa les épaules.

« Donc il ne peut rien contre vous ni contre votre fils. Au point de vue légal, comme au point de vue de ses intérêts, il se heurte à un obstacle qui est le plus insurmontable de tous, la vertu d’une honnête femme. Et cependant voilà que, tout d’un coup, il engage la lutte.

— Que voulez-vous dire ?

— Je veux dire que, si un homme comme le comte, après tant d’hésitations et malgré tant d’impossibilités, se risque dans une aventure aussi incertaine, c’est qu’il a, ou qu’il croit avoir entre les mains, des armes.

— Quelles armes ?

— Je l’ignore. Mais elles existent… Sans quoi il n’eût pas commencé par prendre votre fils. »

Yvonne se désespéra.

« C’est horrible… Est-ce que je sais, moi, ce qu’il a pu faire ! ce qu’il a pu inventer !…

— Cherchez bien… Rappelez vos souvenirs… Tenez, dans ce secrétaire qu’il a fracturé, il n’y avait pas une lettre qu’il fût possible de retourner contre vous ?

— Aucune…

— Et dans les paroles qu’il vous a dites, dans ses menaces, il n’y a rien qui vous permette de deviner ?…

— Rien…

— Pourtant… pourtant… répéta Velmont, il doit y avoir quelque chose… »

Et il reprit :

« Le comte n’a pas un ami plus intime… auquel il se confie ?…

— Non.

— Personne n’est venu le voir hier ?

— Personne.

— Il était seul quand il vous a liée et enfermée ?

— À ce moment, oui.

— Mais après ?

— Après, son domestique l’a rejoint près de la porte, et j’ai entendu qu’ils parlaient d’un ouvrier bijoutier…

— C’est tout ?

— Et d’une chose qui aurait lieu le lendemain, c’est-à-dire aujourd’hui, à midi, parce que la comtesse d’Origny ne pouvait venir auparavant. »

Velmont réfléchit.

« Cette conversation a-t-elle un sens qui vous éclaire sur les projets de votre mari ?

— Je n’en vois pas…

— Où sont vos bijoux ?

— Mon mari les a vendus.

— Il ne vous en reste pas un seul ?

— Non.

— Pas même une bague ?

— Non, dit-elle en montrant ses mains, rien que cet anneau.

— Qui est votre anneau de mariage ?

— Qui est… mon anneau… »

Elle s’arrêta, interdite. Velmont nota qu’elle rougissait, et il l’entendit balbutier :

« Serait-ce possible ?… Mais non… Mais non. Il ignore… »

Velmont la pressa de questions aussitôt, et Yvonne se taisait, immobile, le visage anxieux. À la fin, elle répondit, à voix basse :

« Ce n’est pas mon anneau de mariage. Un jour, il y a longtemps, je l’ai fait tomber de la cheminée de ma chambre, où je l’avais mis une minute auparavant, et, malgré toutes mes recherches, je n’ai pu le retrouver. Sans rien dire, j’en ai commandé un autre… que voici à ma main.

« Le véritable anneau portait la date de votre mariage ?

— Oui… vingt-trois octobre.

— Et le second ?

— Celui-ci ne porte aucune date. »

Il sentit en elle une légère hésitation et un trouble qu’elle ne cherchait d’ailleurs pas à dissimuler.

« Je vous en supplie, s’écria-t-il, ne me cachez rien… Vous voyez le chemin que nous avons parcouru en quelques minutes, avec un peu de logique et de sang-froid. Continuons, je vous le demande en grâce.

— Êtes-vous sûr, dit-elle, qu’il soit nécessaire ?…

— Je suis sûr que le moindre détail a son importance et que nous sommes près d’atteindre le but. Mais il faut se hâter. L’heure est grave.

— Je n’ai rien à cacher, fit-elle en relevant la tête. C’était à l’époque la plus misérable et la plus dangereuse de ma vie. Humiliée chez moi, dans le monde j’étais entourée d’hommages, de tentations, de pièges, comme toute femme qu’on voit abandonnée de son mari. Alors, je me suis souvenue… Avant mon mariage, un homme m’avait aimée, dont j’avais deviné l’amour impossible et qui, depuis, est mort. J’ai fait graver le nom de cet homme, et j’ai porté cet anneau comme on porte un talisman. Il n’y avait pas d’amour en moi puisque j’étais la femme d’un autre. Mais dans le secret de mon cœur, il y eut un souvenir, un rêve meurtri, quelque chose de doux qui me protégeait…

Elle s’était exprimée lentement, sans embarras, et Velmont ne douta pas une seconde qu’elle n’eût dit l’absolue vérité. Comme il se taisait, elle redevint anxieuse et lui demanda :

« Est-ce que vous supposez que mon mari… »

Il lui prit la main, et prononça, tout en examinant l’anneau d’or :

« L’énigme est là. Votre mari, je ne sais comment, connaît la substitution. À midi, sa mère viendra. Devant témoins, il vous obligera d’ôter votre bague, et de la sorte, il pourra, en même temps que l’approbation de sa mère, obtenir le divorce, puisqu’il aura la preuve qu’il cherchait.

— Je suis perdue, gémit-elle, je suis perdue !

— Vous êtes sauvée, au contraire ! Donnez-moi cette bague… et tantôt, c’est une autre qu’il trouvera, une autre que je vous ferai parvenir avant midi, et qui portera la date du vingt-trois octobre. Ainsi… »

Il s’interrompit brusquement. Tandis qu’il parlait, la main d’Yvonne s’était glacée dans la sienne, et, ayant levé les yeux, il vit que la jeune femme était pâle, affreusement pâle.

« Qu’y a-t-il ?… Je vous en prie… »

Elle eut un accès de désespoir fou.

« Il y a… il y a que je suis perdue !… Il y a que je ne peux l’ôter, cet anneau ! Il est devenu trop petit !… Comprenez-vous ?… Cela n’avait pas d’importance, et je n’y pensais pas… Mais aujourd’hui… Cette preuve… cette accusation… Ah ! quelle torture ! Regardez… Il fait partie de mon doigt… Il est incrusté dans ma chair… et je ne peux pas… je ne peux pas. »

Elle tirait vainement de toutes ses forces, au risque de se blesser. Mais la chair se gonflait autour de l’anneau, et l’anneau ne bougeait point.

« Ah ! balbutia-t-elle, étreinte par une idée qui la terrifia… je me souviens, l’autre nuit… un cauchemar que j’ai eu… Il me semblait que quelqu’un entrait dans ma chambre et s’emparait de ma main. Et je ne pouvais pas me réveiller… C’était lui ! c’était lui ! Il m’avait endormie, j’en suis sûre… et il regardait la bague… Et tantôt il me l’arrachera devant sa mère… Ah ! je comprends tout… cet ouvrier bijoutier… c’est lui qui me la coupera à même la main… Vous voyez… vous voyez… je suis perdue… »

Elle se cacha la tête et se mit à pleurer. Mais dans le silence, la pendule sonna une fois, et puis une autre fois, et une fois encore. Et Yvonne se redressa d’un bond.

« Le voilà cria-t-elle. Il va venir… il est trois heures… Allons-nous-en… »

Elle se jeta sur son manteau et courut vers la porte… Il lui barra le passage, et d’un ton impérieux :

« Vous ne partirez pas.

— Mon fils… Je veux le voir, le reprendre…

— Savez-vous seulement où il est ?

— Je veux partir !

— Vous ne partirez pas !… Ce serait de la folie. »

Il la saisit aux poignets. Elle voulut se dégager, et Velmont dut apporter une certaine brusquerie pour vaincre sa résistance. À la fin, il réussit à la ramener vers le divan, puis à l’étendre, et, tout de suite sans prêter attention à ses plaintes, il reprit les bandes de toile et lui attacha les bras et les chevilles.

« Oui, disait-il, ce serait de la folie. Qui vous aurait délivrée ? Qui vous aurait ouvert cette porte ? Un complice ? Quel argument contre vous, et comme votre mari s’en servirait auprès de sa mère ! Et puis, à quoi bon ? Vous enfuir, c’est accepter le divorce… et sait-on jamais le dénouement ?… Il faut rester ici. »

Elle sanglotait.

« J’ai peur… J’ai peur… Cet anneau me brûle… Brisez-le… Emportez-le… Qu’on ne le retrouve pas !…

— Et si l’on ne le retrouve pas à votre doigt, qui l’aurait brisé ? Toujours un complice… Non, il faut affronter la lutte, et vaillamment, puisque je réponds de tout… Croyez en moi… je réponds de tout… Dussé-je m’attaquer à la comtesse d’Origny et retarder ainsi l’entrevue… dussé-je venir moi-même avant midi, c’est l’anneau nuptial que l’on arrachera de votre doigt… je vous le jure… et votre fils vous sera rendu… »

Dominée, soumise, Yvonne, par instinct, s’offrait elle-même aux entraves. Quand il se releva, elle était liée comme auparavant.

Il inspecta la pièce pour s’assurer qu’aucune trace ne demeurait de son passage. Puis il s’inclina de nouveau sur la jeune femme et murmura :

« Pensez à votre fils, et, quoi qu’il arrive, ne craignez rien… je veille sur vous. »

Elle l’entendit ouvrir et refermer la porte du boudoir, puis, quelques minutes après, la porte de la rue.

À trois heures et demie, une automobile s’arrêtait. La porte, en bas, claqua de nouveau, et presque aussitôt Yvonne aperçut son mari qui entrait rapidement, l’air furieux. Il courut vers elle, s’assura qu’elle était toujours attachée, et, s’emparant de sa main, examina la bague. Yvonne s’évanouit…

 

Elle ne sut pas au juste, en se réveillant, combien de temps elle avait dormi. Mais la clarté du grand jour pénétrait dans le boudoir, et elle constata, au premier mouvement qu’elle fit, que les bandes étaient coupées. Alors elle tourna la tête et vit auprès d’elle son mari qui la regardait.

« Mon fils… mon fils… gémit-elle, je veux mon fils… »

Il répliqua, d’une voix dont elle sentit la raillerie :

« Notre fils est en lieu sûr. Et, pour l’instant, il ne s’agit pas de lui, mais de vous. Nous sommes l’un en face de l’autre sans doute pour la dernière fois, et l’explication que nous allons avoir est très grave. Je dois vous avertir qu’elle aura lieu devant ma mère. Vous n’y voyez pas d’inconvénient ? »

Yvonne s’efforça de cacher son trouble et répondit :

« Aucun.

— Je puis l’appeler ?

— Oui. Laissez-moi, en attendant. Je serai prête quand elle viendra.

— Ma mère est ici.

— Votre mère est ici ? s’écria Yvonne, éperdue et se rappelant la promesse d’Horace Velmont.

— Qu’y a-t-il d’étonnant ?

— Et c’est maintenant ?… C’est tout de suite que vous voulez…

— Oui.

— Pourquoi ?… Pourquoi pas ce soir ?… Demain ?

— Aujourd’hui, et maintenant, déclara le comte. Il s’est produit au cours de la nuit un incident assez bizarre et que je ne m’explique pas : on m’a fait venir chez ma mère dans le but évident de m’éloigner d’ici. Cela me détermine à devancer le moment de l’explication. Vous ne désirez pas prendre quelque nourriture auparavant ?

— Non… non…

— Je vais donc chercher ma mère. »

Il se dirigea vers la chambre d’Yvonne. Celle-ci jeta un coup d’œil sur la pendule. La pendule marquait dix heures trente-cinq !

« Ah ! » fit-elle avec un frisson d’épouvante.

Dix heures trente-cinq ! Horace Velmont ne la sauverait pas, et personne au monde, et rien au monde ne la sauverait, car il n’y avait point de miracle qui pût faire que l’anneau d’or ne fût pas à son doigt.

Le comte revint avec la comtesse d’Origny et la pria de s’asseoir. C’était une femme sèche, anguleuse, qui avait toujours manifesté contre Yvonne des sentiments hostiles. Elle ne salua même pas sa belle-fille, montrant ainsi qu’elle était gagnée à l’accusation.

« Je crois, dit-elle, qu’il est inutile de parler très longuement. En deux mots, mon fils prétend…

— Je ne prétends pas, ma mère, dit le comte, j’affirme. J’affirme sous serment que, il y a trois mois, durant les vacances, le tapissier, en reposant les tapis de ce boudoir et de la chambre, a trouvé, dans une rainure de parquet, l’anneau de mariage que j’avais donné à ma femme. Cet anneau, le voici. La date du vingt-trois octobre est gravée à l’intérieur.

— Alors, dit la comtesse, l’anneau que votre femme porte…

— Cet anneau a été commandé par elle en échange du véritable. Sur mes indications, Bernard, mon domestique, après de longues recherches, a fini par découvrir, aux environs de Paris, où il habite maintenant, le petit bijoutier à qui elle s’était adressée. Cet homme se souvient parfaitement, et il est prêt à en témoigner, que sa cliente ne lui a pas fait inscrire une date, mais un nom. Ce nom, il ne se le rappelle pas, mais peut-être l’ouvrier qui travaillait avec lui, dans son magasin, s’en souviendrait-il. Prévenu par lettre que j’avais besoin de ses services, cet homme a répondu hier qu’il était à ma disposition. Ce matin, dès neuf heures, Bernard allait le chercher. Tous deux attendent dans mon cabinet. »

Il se tourna vers sa femme.

« Voulez-vous, de votre plein gré, me donner cet anneau ? »

Elle articula :

« Vous savez bien, depuis la nuit où vous avez essayé de le prendre à mon insu, qu’il est impossible de l’ôter de mon doigt.

— En ce cas, puis-je donner l’ordre que cet homme monte ? Il a les instruments nécessaires.

— Oui, » dit-elle d’une voix faible comme un souffle.

Elle était résignée. En une sorte de vision elle évoquait l’avenir, le scandale, le divorce prononcé contre elle, l’enfant confié par jugement au père, et elle acceptait cela en pensant qu’elle enlèverait son fils, qu’elle partirait avec lui au bout du monde et qu’ils vivraient tous deux, seuls, heureux…

Sa belle-mère lui dit :

« Vous avez été bien légère, Yvonne. »

Yvonne fut sur le point de se confesser à elle et de lui demander sa protection. À quoi bon ? Comment admettre que la comtesse d’Origny pût la croire innocente ? Elle ne répliqua point.

Tout de suite, d’ailleurs, le comte rentrait, suivi de son domestique et d’un homme qui portait une trousse sous le bras.

Et le comte dit à cet homme :

« Vous savez de quoi il s’agit ?

— Oui, fit l’ouvrier. Une bague qui est devenue trop petite et qu’il faut trancher… C’est facile… Un coup de pince…

— Et vous examinerez ensuite, dit le comte, si l’inscription qui est à l’intérieur de cet anneau fut bien gravée par vous. »

Yvonne observa la pendule. Il était onze heures moins dix. Il lui sembla entendre quelque part dans l’hôtel un bruit de voix qui disputaient, et, malgré elle, un sursaut d’espoir la secoua. Peut-être Velmont avait-il réussi… Mais, le bruit s’étant renouvelé, elle se rendit compte que des marchands ambulants passaient sous ses fenêtres et s’éloignaient.

C’était fini. Horace Velmont n’avait pas pu la secourir. Et elle comprit que, pour retrouver son enfant, il lui faudrait agir par ses propres forces, car les promesses des autres sont vaines.

Elle eut un mouvement de recul. Elle avait vu sur sa main la main sale de l’ouvrier, et ce contact odieux la révoltait.

L’homme s’excusa, avec embarras. Le comte dit à sa femme :

« Il faut pourtant vous décider. »

Alors elle tendit sa main fragile et tremblante que l’ouvrier saisit de nouveau, qu’il retourna, et appuya sur la table, la paume découverte. Yvonne sentit le froid de l’acier. Elle souhaita mourir, d’un coup, et, s’attachant aussitôt à cette idée de mort, elle pensa à des poisons qu’elle achèterait et qui l’endormiraient presque à son insu.

L’opération fut rapide. De biais, les petites tenailles d’acier repoussèrent la chair, se firent une place, et mordirent la bague. Un effort brutal… la bague se brisa. Il n’y avait plus qu’à écarter les deux extrémités pour la sortir du doigt. C’est ce que fit l’ouvrier.

Le comte s’exclama, triomphant :

« Enfin nous allons savoir… la preuve est là ! Et nous sommes tous témoins… »

Il agrippa l’anneau et regarda l’inscription.

Un cri de stupeur lui échappa. L’anneau portait la date de son mariage avec Yvonne : « Vingt-trois octobre ».

 

Nous étions assis sur la terrasse de Monte-Carlo. Son histoire terminée, Lupin alluma une cigarette et lança paisiblement des bouffées vers le ciel bleu.

Je lui dis :

« Eh bien ?

— Eh bien, quoi ?

— Comment, quoi ? mais la fin de l’aventure…

— La fin de l’aventure ? Mais il n’y en a pas d’autre.

— Voyons… vous plaisantez…

— Nullement. Celle-là ne vous suffit pas ? La comtesse est sauvée. Le mari, n’ayant pas la moindre preuve contre elle, est contraint par sa mère à renoncer au divorce et à rendre l’enfant. Voilà tout. Depuis il a quitté sa femme, et celle-ci vit heureuse, avec son fils, un garçon de seize ans.

— Oui… oui… mais la façon dont la comtesse a été sauvée ? »

Lupin éclata de rire.

« Mon cher ami…

(Lupin daigne parfois m’appeler de la sorte.)

— Mon cher ami, vous avez peut-être une certaine adresse pour raconter mes exploits, mais, fichtre, il faut mettre les points sur les i. Je vous jure que la comtesse n’a pas eu besoin d’explication.

— Je n’ai aucun amour-propre, lui répondis-je en riant. Mettez les points sur les i. »

Il prit une pièce de cinq francs et referma la main sur elle.

« Qu’y a-t-il dans cette main ?

— Une pièce de cinq francs. »

Il ouvrit la main. La pièce de cinq francs n’y était pas.

« Vous voyez comme c’est facile ! Un ouvrier bijoutier coupe avec des tenailles une bague sur laquelle est gravé un nom, mais il en présente une autre sur laquelle est gravée la date du vingt-trois octobre. C’est un simple tour d’escamotage, et j’ai celui-là dans le fond de mon sac, ainsi que beaucoup d’autres. Bigre ! J’ai travaillé six mois avec Pickmann.

— Mais alors…

— Allez-y donc !

— L’ouvrier bijoutier ?

— C’était Horace Velmont ! C’était ce brave Lupin ! En quittant la comtesse à trois heures du matin, j’ai profité des quelques minutes qui me restaient avant l’arrivée du mari pour inspecter son cabinet de travail. Sur la table, j’ai trouvé la lettre que l’ouvrier bijoutier avait écrite. Cette lettre me donnait l’adresse. Moyennant quelques louis j’ai pris la place de l’ouvrier, et je suis venu avec un anneau d’or coupé et gravé d’avance. Passez, muscade. Le comte n’y a vu que du feu.

— Parfait, » m’écriai-je.

Et j’ajoutai, un peu ironique à mon tour :

« Mais ne croyez-vous pas que vous-mêmes fûtes quelque peu dupé en l’occurrence ?

— Ah ! Et par qui ?

— Par la comtesse.

— En quoi donc ?

— Dame ! ce nom inscrit comme un talisman… ce beau ténébreux qui l’aima et souffrit pour elle… Tout cela me paraît fort invraisemblable, et je me demande si, tout Lupin que vous soyez, vous n’êtes pas tombé au milieu d’un joli roman d’amour bien réel… et pas trop innocent. »

Lupin me regarda de travers.

« Non, dit-il.

— Comment le savez-vous ?

— Si la comtesse altéra la vérité en me disant qu’elle avait connu cet homme avant son mariage et qu’il était mort, et si elle l’aima dans le secret de son cœur, j’ai du moins la preuve que cet amour fut idéal, et que, lui, ne le soupçonna pas.

— Et cette preuve ?

— Elle est inscrite au creux de la bague que j’ai brisée moi-même au doigt de la comtesse et que je porte. La voici. Vous pouvez lire le nom qu’elle avait fait graver. »

Il me donna la bague. Je lus « Horace Velmont ».

Il y eut entre Lupin et moi un instant de silence, et, l’ayant observé, je notai sur son visage une certaine émotion, un peu de mélancolie.

Je repris : « Pourquoi vous êtes-vous résolu à me raconter cette histoire… à laquelle vous avez fait souvent allusion devant moi ?

— Pourquoi ? »

Il me montra, d’un signe, une femme très belle encore qui passait devant nous, au bras d’un jeune homme.

Elle aperçut Lupin et le salua.

« C’est elle, fit-il, c’est elle avec son fils.

— Elle vous a donc reconnu ?

— Elle me reconnaît toujours, quel que soit mon déguisement.

— Mais, depuis le cambriolage du Château de Thibermesnil, la police a identifié les deux noms de Lupin et d’Horace Velmont.

— Oui.

— Elle sait par conséquent qui vous êtes ?

— Oui.

— Et elle vous salue ? m’écriai-je malgré moi.

Il m’empoigna le bras, et, violemment :

« Croyez-vous donc que je sois Lupin pour elle ? Croyez-vous que je sois à ses yeux un cambrioleur, un escroc, un gredin ?… Mais je serais le dernier des misérables, j’aurais tué, même, qu’elle me saluerait encore.

— Pourquoi ? Parce qu’elle vous a aimé ?

— Allons donc ! ce serait une raison de plus, au contraire, pour qu’elle me méprisât.

— Alors ?

— Je suis l’homme qui lui a rendu son fils !

Source : Les Confidences d’Arsène Lupin. Pierre Lafitte et Cie, 1921.

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