CONTE D’AMOUR

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Et que Dieu ne te récompense jamais du bien que tu m’as fait!

HENRI HEINE.

L’Intermezzo.

I

EBLOUISSEMENT

LA Nuit, sur le grand mystère,

Entr’ouvre ses écrins bleus:

Autant de fleurs sur la terre

Que d’étoiles dans les cieux!

On voit ses ombres dormantes

S’éclairer, à tous moments,

Autant par les fleurs charmantes

Que par les astres charmants.

Moi, ma nuit au sombre voile

N’a, pour charme et pour clarté,

Qu’une fleur et qu’une étoile:

Mon amour et ta beauté!

II

L’AVEU

J’ai perdu la forêt, la plaine

Et les frais avrils d’autrefois…

Donne tes lèvres: leur haleine,

Ce sera le souffle des bois!

J’ai perdu l’Océan morose,

Son deuil, ses vagues, ses échos;

Dis-moi n’importe quelle chose:

Ce sera la rumeur des flots.

Lourd d’une tristesse royale,

Mon front songe aux soleils enfuis…

Oh! cache-moi dans ton sein pâle!

Ce sera le calme des nuits!

III

LES PRESENTS

Si tu me parles, quelque soir,

Du secret de mon cœur malade,

Je te dirai, pour t’émouvoir,

Une très ancienne ballade.

Si tu me parles de tourment,

D’espérance désabusée,

J’irai te cueillir, seulement,

Des roses pleines de rosée.

Si, pareille à la fleur des morts

Qui se plaît dans l’exil des tombes,

Tu veux partager mes remords…

Je t’apporterai des colombes.

IV

AU BORD DE LA MER

Au sortir de ce bal, nous suivîmes les grèves;

Vers le toit d’un exil, au hasard du chemin,

Nous allions: une fleur se fanait dans sa main;

C’était par un minuit d’étoiles et de rêves.

Dans l’ombre, autour de nous, tombaient des flots foncés.

Vers les lointains d’opale et d’or, sur l’Atlantique,

L’outre-mer épandait sa lumière mystique;

Les algues parfumaient les espaces glacés;

Les vieux échos sonnaient dans la falaise entière!

Et les nappes de l’onde aux volutes sans frein

Ecumaient, lourdement, contre les rocs d’airain.

Sur la dune brillaient les croix d’un cimetière.

Leur silence, pour nous, couvrait ce vaste bruit.

Elles ne tendaient plus, croix par l’ombre insultées,

Les couronnes de deuil, fleurs de morts, emportées

Dans les flots tonnants, par les tempêtes, la nuit.

Mais, de ces blancs tombeaux en pente sur la rive,

Sous la brume sacrée à des clartés pareils,

L’ombre questionnait en vain les grands sommeils:

Ils gardaient le secret de la Loi décisive.

Frileuse, elle voilait, d’un cachemire noir,

Son sein, royal exil de toutes mes pensées!

J’admirais cette femme aux paupières baissées,

Sphynx cruel, mauvais rêve, ancien désespoir.

Ses regards font mourir les enfants. Elle passe

Et se laisse survivre en ce qu’elle détruit.

C’est la femme qu’on aime à cause de la Nuit,

Et ceux qui l’ont connue en parlent à voix basse.

Le danger la revêt d’un rayon familier:

Même dans son étreinte oublieusement tendre,

Ses crimes, évoqués, sont tels qu’on croit entendre

Des crosses de fusils tombant sur le palier.

Cependant, sous la honte illustre qui l’enchaîne,

Sous le deuil où se plaît cette âme sans essor,

Repose une candeur inviolée encor

Comme un lys enfermé dans un coffret d’ébène.

Elle prêta l’oreille au tumulte des mers,

Inclina son beau front touché par les années,

Et, se remémorant ses mornes destinées,

Elle se répandit en ces termes amers:

« Autrefois, autrefois, – quand je faisais partie

Des vivants, – leurs amours sous les pâles flambeaux

Des nuits, comme la mer au pied de ces tombeaux,

Se lamentaient, houleux, devant mon apathie.

J’ai vu de longs adieux sur mes mains se briser;

Mortelle, j’accueillais, sans désir et sans haine,

Les aveux suppliants de ces âmes en peine:

Le sépulcre à la mer ne rend pas son baiser.

Je suis donc insensible et faite de silence

Et je n’ai pas vécu; mes jours sont froids et vains;

Les Cieux m’ont refusé les battements divins!

On a faussé pour moi les poids de la balance.

Je sens que c’est mon sort même dans le trépas:

Et, soucieux encor des regrets ou des fêtes,

Si les morts vont chercher leurs fleurs dans les tempêtes,

Moi, je reposerai, ne les comprenant pas. »

Je saluai les croix lumineuses et pâles.

L’étendue annonçait l’aurore, et je me pris

A dire, pour calmer ses ténébreux esprits

Que le vent du remords battait de ses rafales

Et pendant que la mer déserte se gonflait:

– « Au bal vous n’aviez pas de ces mélancolies

Et les sons de cristal de vos phrases polies

Charmaient le serpent d’or de votre bracelet.

Rieuse et respirant une touffe de roses

Sous vos grands cheveux noirs mêlés de diamants,

Quand la valse nous prit, tous deux, quelques moments,

Vous eûtes, en vos yeux, de lueurs moins moroses?

J’étais heureux de voir sous le plaisir vermeil

Se ranimer votre âme à l’oubli toute prête,

Et s’éclairer enfin votre douleur distraite,

Comme un glacier frappé d’un rayon de soleil. »

Elle laissa briller sur moi ses yeux funèbres,

Et la pâleur des morts ornait ses traits fatals.

– « Selon vous, je ressemble aux pays boréals,

J’ai six mois de clartés et six mois de ténèbres?

Sache mieux quel orgueil nous nous sommes donnés!

Et tout ce qu’en nos yeux il empêche de lire…

Aime-moi, toi qui sais que, sous un clair sourire,

Je suis pareille à ces tombeaux abandonnés. »

V

REVEIL

O toi, dont je reste interdit,

J’ai donc le mot de ton abîme!

N’importe quel baiser t’anime:

Un passant; de l’or; tout est dit.

Tu n’aimes que comme on se venge;

Tu mens en cris délicieux;

Et tu te plais, riant des cieux,

A ces vains jeux de mauvais ange.

En tes baisers nuls et pervers

Si j’ai bu vos sucs, jusquiames,

Enchanteresse entre les femmes,

Sois oubliée, en tes hivers!

VI

ADIEU

Un vertige épars sous tes voiles

Tenta mon front vers tes bras nus.

Adieu, toi par qui je connus

L’angoisse des nuits sans étoiles!

Quoi! ton seul nom me fit pâlir!

– Aujourd’hui, sans désirs ni craintes,

Dans l’ennui vil de tes étreintes

Je ne veux plus m’ensevelir.

Je respire le vent des grèves,

Je suis heureux loin de ton seuil;

Et tes cheveux couleur de deuil

Ne font plus d’ombre sur mes rêves.

VII

RENCONTRE

Tu secouais ton noir flambeau;

Tu ne pensais pas être morte;

J’ai forgé la grille et la porte

Et mon cœur est sûr du tombeau.

Je ne sais quelle flamme encore

Brûlait dans ton sein meurtrier,

Je ne pouvais m’en soucier:

Tu m’as fait rire de l’aurore.

Tu crois au retour sur les pas?

Que les seuls sens font les ivresses?…

Or, je bâillais en tes caresses:

Tu ne ressusciteras pas.

Source : Contes cruels. 1883.

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