L’ÉCOLIER, LE PÉDANT, ET LE MAÎTRE D’UN JARDIN

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Certain enfant qui sentait son Collège,
Doublement sot, et doublement fripon,
Par le jeune âge, et par le privilège
Qu’ont les Pédants de gâter la raison,
Chez un voisin dérobait, ce dit-on,
Et fleurs et fruits. Ce voisin en Automne
Des plus beaux dons que nous offre Pomone
Avait la fleur, les autres le rebut.
Chaque saison apportait son tribut :
Car au Printemps il jouissait encore
Des plus beaux dons que nous présente Flore.
Un jour dans son jardin il vit notre Écolier,
Qui grimpant sans égard sur un arbre fruitier,
Gâtait jusqu’aux boutons ; douce et frêle espérance,
Avant-coureurs des biens que promet l’abondance.
Même il ébranchait l’arbre, et fit tant à la fin
Que le possesseur du jardin
Envoya faire plainte au maître de la Classe.
Celui-ci vint suivi d’un cortège d’enfants.
Voilà le verger plein de gens
Pires que le premier. Le Pédant de sa grâce,
Accrut le mal en amenant
Cette jeunesse mal instruite
Le tout, à ce qu’il dit, pour faire un châtiment
Qui pût servir d’exemple ; et dont toute sa suite
Se souvînt à jamais comme d’une leçon.
Là-dessus il cita Virgile et Cicéron,
Avec force traits de science.
Son discours dura tant que la maudite engeance
Eut le temps de gâter en cent lieux le jardin.
Je hais les pièces d’éloquence
Hors de leur place, et qui n’ont point de fin ;
Et ne sais bête au monde pire
Que l’Écolier, si ce n’est le Pédant.
Le meilleur de ces deux pour voisin, à vrai dire,
Ne me plairait aucunement.

Source : Édition Barbin et Thierry (1668-1694) – Livre IX. Texte modernisé.

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