LE VIEILLARD, ET LES TROIS JEUNES HOMMES

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Un octogénaire plantait.
Passe encor de bâtir ; mais planter à cet âge !
Disaient trois jouvenceaux enfants du voisinage,
Assurément il radotait.
Car au nom des Dieux, je vous prie,
Quel fruit de ce labeur pouvez-vous recueillir ?
Autant qu’un Patriarche il vous faudrait vieillir.
À quoi bon charger votre vie
Des soins d’un avenir qui n’est pas fait pour vous ?
Ne songez désormais qu’à vos erreurs passées :
Quittez le long espoir, et les vastes pensées ;
Tout cela ne convient qu’à nous.
Il ne convient pas à vous mêmes,
Repartit le Vieillard. Tout établissement
Vient tard et dure peu. La main des Parques blêmes
De vos jours, et des miens se joue également.
Nos termes sont pareils par leur courte durée.
Qui de nous des clartés de la voûte azurée
Doit jouir le dernier ? Est-il aucun moment
Qui vous puisse assurer d’un second seulement ?
Mes arrière-neveux me devront cet ombrage :
Hé bien défendez vous au Sage
De se donner des soins pour le plaisir d’autrui ?
Cela même est un fruit que je goûte aujourd’hui :
J’en puis jouir demain, et quelques jours encore :
Je puis enfin compter l’Aurore
Plus d’une fois sur vos tombeaux.
Le Vieillard eut raison ; l’un des trois jouvenceaux
Se noya dès le port allant à l’Amérique.
L’autre afin de monter aux grandes dignités,
Dans les emplois de Mars servant la République,
Par un coup imprévu vit ses jours emportés.
Le troisième tomba d’un arbre
Que lui-même il voulut enter :
Et pleurés du Vieillard, il grava sur leur marbre
Ce que je viens de raconter.

Source : Édition Barbin et Thierry (1668-1694) – Livre XI. Texte modernisé.

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