LE RENARD, LE LOUP, ET LE CHEVAL

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Un Renard, jeune encore, quoique des plus madrés,
Vit le premier Cheval qu’il eût vu de sa vie.
Il dit à certain Loup, franc novice, Accourez :
Un Animal paît dans nos prés,
Beau, grand ; j’en ai la vue encor toute ravie.
Est-il plus fort que nous ? dit le Loup en riant :
Fais-moi son Portrait, je te prie.
Si j’étais quelque Peintre ou quelque Étudiant,
Repartit le Renard, j’avancerais la joie
Que vous aurez en le voyant.
Mais venez : Que sait-on ? peut-être est-ce une proie
Que la Fortune nous envoie.
Ils vont ; et le Cheval qu’à l’herbe on avait mis,
Assez peu curieux de semblables amis,
Fut presque sur le point d’enfiler la venelle.
Seigneur, dit le Renard, vos humbles serviteurs
Apprendraient volontiers comment on vous appelle.
Le Cheval qui n’était dépourvu de cervelle
Leur dit : Lisez mon nom, vous le pouvez, Messieurs ;
Mon Cordonnier l’a mis autour de ma semelle.
Le Renard s’excusa sur son peu de savoir.
Mes parents, reprit-il, ne m’ont point fait instruire.
Ils sont pauvres, et n’ont qu’un trou pour tout avoir.
Ceux du Loup, gros Messieurs, l’ont fait apprendre à lire.
Le Loup par ce discours flatté,
S’approcha ; mais sa vanité
Lui coûta quatre dents : le Cheval lui desserre
Un coup ; et haut le pied. Voilà mon Loup par terre,
Mal en point, sanglant et gâté.
Frère, dit le Renard, ceci nous justifie
Ce que m’ont dit des gens d’esprit :
Cet animal vous a sur la mâchoire écrit
Que de tout inconnu le Sage se méfie.

Source : Édition Barbin et Thierry (1668-1694) – Livre XII. Texte modernisé.

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