Un vieux Renard, mais des plus fins
Grand croqueur de Poulets, grand preneur de Lapins ;
Sentant son Renard d’une lieue,
Fut enfin au piège attrapé.
Par grand hasard en étant échappé,
Non pas franc, car pour gage il y laissa sa queue :
S’étant, dis-je, sauvé sans queue et tout honteux ;
Pour avoir des pareils, (comme il était habile)
Un jour que les Renards tenaient conseil entre eux :
Que faisons-nous, dit-il, de ce poids inutile,
Et qui va balayant tous les sentiers fangeux ?
Que nous sert cette queue ? il faut qu’on se la coupe.
Si l’on me croit, chacun s’y résoudra.
Votre avis est fort bon, dit quelqu’un de la troupe ;
Mais tournez-vous, de grâce, et l’on vous répondra.
À ces mots il se fit une telle huée,
Que le pauvre écourté ne put être entendu.
Prétendre ôter la queue eût été temps perdu ;
La mode en fut continuée.
Source : Édition Barbin et Thierry (1668-1694) – Livre V. Texte modernisé.