LE RAT ET L’ÉLÉPHANT

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Se croire un personnage, est fort commun en France.
On y fait l’homme d’importance,
Et l’on n’est souvent qu’un Bourgeois :
C’est proprement le mal François.
La sotte vanité nous est particulière.
Les Espagnols sont vains, mais d’une autre manière.
Leur orgueil me semble en un mot
Beaucoup plus fou, mais pas si sot.
Donnons quelque image du nôtre
Qui sans doute en vaut bien un autre.
Un Rat des plus petits voyait un Éléphant
Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent
De la bête de haut parage,
Qui marchait à gros équipage.
Sur l’animal à triple étage
Une Sultane de renom,
Son Chien, son Chat, et sa Guenon,
Son Perroquet, sa vieille, et toute sa maison,
S’en allait en pèlerinage.
Le Rat s’étonnait que les gens
Fussent touchés de voir cette pesante masse :
Comme si d’occuper ou plus ou moins de place,
Nous rendait, disait-il, plus ou moins importants.
Mais qu’admirez-vous tant en lui vous autres hommes ?
Serait-ce ce grand corps, qui fait peur aux enfants ?
Nous ne nous prisons pas, tout petits que nous sommes,
D’un grain moins que les Éléphants.
Il en aurait dit davantage ;
Mais le Chat sortant de sa cage,
Lui fit voir en moins d’un instant
Qu’un Rat n’est pas un Éléphant.

Source : Édition Barbin et Thierry (1668-1694) – Livre VIII. Texte modernisé.

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