LE FOU QUI VEND LA SAGESSE

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Jamais auprès des fous ne te mets à portée.
Je ne te puis donner un plus sage conseil.
Il n’est enseignement pareil
À celui-là de fuir une tête éventée.
On en voit souvent dans les cours.
Le Prince y prend plaisir ; car ils donnent toujours
Quelque trait aux fripons, aux sots, aux ridicules.
Un fol allait criant par tous les carrefours
Qu’il vendait la Sagesse ; et les mortels crédules
De courir à l’achat, chacun fut diligent.
On essuyait force grimaces ;
Puis on avait pour son argent
Avec un bon soufflet un fil long de deux brasses.
La plupart s’en fâchaient ; mais que leur servait-il ?
C’étaient les plus moqués ; le mieux était de rire,
Ou de s’en aller, sans rien dire
Avec son soufflet et son fil.
De chercher du sens à la chose,
On se fût fait siffler ainsi qu’un ignorant.
La raison est-elle garant
De ce que fait un fou ? Le hasard est la cause
De tout ce qui se passe en un cerveau blessé.
Du fil et du soufflet pourtant embarrassé
Un des dupes un jour alla trouver un sage,
Qui sans hésiter davantage
Lui dit ; Ce sont ici hiéroglyphes tout purs.
Les gens bien conseillés, et qui voudront bien faire,
Entre eux et les gens fous mettront pour l’ordinaire
La longueur de ce fil ; sinon je les tiens sûrs
De quelque semblable caresse.
Vous n’êtes point trompé ; ce fou vend la sagesse.

Source : Édition Barbin et Thierry (1668-1694) – Livre IX. Texte modernisé.

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