LE CURÉ ET LE MORT

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Un mort s’en allait tristement
S’emparer de son dernier gîte ;
Un Curé s’en allait gaîment
Enterrer ce mort au plus vite.
Notre défunt était en carrosse porté,
Bien et dûment empaqueté,
Et vêtu d’une robe, hélas ! qu’on nomme bière,
Robe d’hiver, robe d’été,
Que les morts ne dépoüillent guère.
Le Pasteur était à côté,
Et récitait à l’ordinaire
Maintes dévotes oraisons,
Et des psaumes, et des leçons,
Et des versets, et des réponds :
Monsieur le Mort laissez-nous faire,
On vous en donnera de toutes les façons ;
Il ne s’agit que du salaire.
Messire Jean Chouart couvait des yeux son mort,
Comme si l’on eût dû lui ravir ce trésor,
Et des regards semblait lui dire :
Monsieur le mort j’aurai de vous
Tant en argent, et tant en cire,
Et tant en autres menus coûts.
Il fondait là dessus l’achat d’une feuillette
Du meilleur vin des environs ;
Certaine nièce assez propette,
Et sa chambrière Pâquette
Devaient avoir des cotillons.
Sur cette agréable pensée
Un heurt survient, adieu le char.
Voilà Messire Jean Chouart
Qui du choc de son mort a la tête cassée :
Le Paroissien en plomb entraîne son Pasteur ;
Notre Curé suit son Seigneur ;
Tous deux s’en vont de compagnie.
Proprement toute notre vie ;
Est le Curé Chouart qui sur son mort comptait,
Et la fable du Pot au lait.

Source : Édition Barbin et Thierry (1668-1694) – Livre VII. Texte modernisé.

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