L’ÂNE CHARGÉ D’ÉPONGES, ET L’ÂNE CHARGÉ DE SEL

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Un Ânier, son Sceptre à la main,
Menait en Empereur Romain
Deux Coursiers à longues oreilles.
L’un d’éponges chargé marchait comme un Courrier ;
Et l’autre se faisant prier
Portait, comme on dit, les bouteilles.
Sa charge était de sel. Nos gaillards pèlerins
Par monts, par vaux, et par chemins
Au gué d’une rivière à la fin arrivèrent,
Et fort empêchés se trouvèrent.
L’Ânier, qui tous les jours traversait ce gué-là,
Sur l’Âne à l’éponge monta,
Chassant devant lui l’autre bête,
Qui voulant en faire à sa tête
Dans un trou se précipita,
Revint sur l’eau, puis échappa :
Car au bout de quelques nagées
Tout son sel se fondit si bien,
Que le Baudet ne sentit rien
Sur ses épaules soulagées.
Camarade Épongier prit exemple sur lui,
Comme un Mouton qui va dessus la foi d’autrui.
Voilà mon Âne à l’eau, jusqu’au col il se plonge
Lui, le Conducteur, et l’Éponge.
Tous trois burent d’autant ; l’Ânier et le Griffon
Firent à l’éponge raison.
Celle-ci devint si pesante,
Et de tant d’eau s’emplit d’abord,
Que l’Âne succombant ne put gagner le bord.
L’Ânier l’embrassait dans l’attente
D’une prompte et certaine mort.
Quelqu’un vint au secours : qui ce fut, il n’importe ;
C’est assez qu’on ait vu par là qu’il ne faut point
Agir chacun de même sorte.
J’en voulais venir à ce point.

Source : Édition Barbin et Thierry (1668-1694) – Livre II. Texte modernisé.

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