LA VIEILLE ET LES DEUX SERVANTES

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Il était une Vieille ayant deux Chambrières.
Elles filaient si bien, que les sœurs filandières
Ne faisaient que brouiller au prix de celles-ci.

La Vieille n’avait point de plus pressant souci
Que de distribuer aux Servantes leur tâche
Dès que Thétis chassait Phœbus aux crins dorés,
Tourets entraient en jeu, fuseaux étaient tirés,
Deçà, delà, vous en aurez ;
Point de cesse, point de relâche.
Dès que l’Aurore, dis-je, en son char remontait ;
Un misérable Coq à point nommé chantait.
Aussitôt notre Vieille encor plus misérable
S’affublait d’un jupon crasseux et détestable ;
Allumait une lampe, et courait droit au lit

Où de tout leur pouvoir, de tout leur appétit,
Dormaient les deux pauvres Servantes.
L’une entr’ouvrait un œil, l’autre étendait un bras ;
Et toutes deux très-mal contentes,
Disaient entre leurs dents, Maudit Coq, tu mourras.
Comme elles l’avaient dit, la bête fut grippée ;
Le Réveille-matin eut la gorge coupée.
Ce meurtre n’amenda nullement leur marché.
Notre couple au contraire à peine était couché,
Que la Vieille craignant de laisser passer l’heure,
Courait comme un Lutin par toute sa demeure.

C’est ainsi que le plus souvent,
Quand on pense sortir d’une mauvaise affaire,
On s’enfonce encor plus avant :
Témoin ce Couple et son salaire.
La Vieille, au lieu du Coq, les fit tomber par là
De Charybde en Scylla.

Source : Édition Barbin et Thierry (1668-1694) – Livre V. Texte modernisé.

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