LE GARDE NATIONAL RÉFRACTAIRE

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Le garde national réfractaire est un homme de bon sens, cosmopolite par goût, qui se soucie peu d’être national, et encore moins garde ; il aime mieux être réfractaire.

Les baïonnettes intelligentes le séduisent médiocrement ; car il trouve qu’il ne faut pas une grande intelligence pour planter un morceau de fer dans le ventre de n’importe qui.

Le soldat citoyen lui paraît une invention assez pauvre ; c’est bien assez d’être l’un sans être l’autre.

L’épicier enté sur le Tamerlan, ou, si vous aimez mieux, le Tamerlan enté sur l’épicier n’a pas le don de le ravir.

Le réfractaire allègue que c’est une mauvaise manière de garder sa maison que de s’en aller dans un quartier fort éloigné, pour donner toute facilité aux amants et aux voleurs, en faveur de qui la milice urbaine a été certainement inventée ; il dit aussi que ce n’est pas la peine de payer quatre cent mille fainéants, qui n’ont d’autre occupation que de regarder sur les boulevards les confrères de Bilboquet, et de courtiser les bonnes d’enfants dans les jardins publics, si l’on doit faire leur besogne soi-même.

Il prétend que jamais on ne lui a envoyé de tourlourous pour écrire son feuilleton, et qu’alors il ne doit pas faire la faction des susdits tourlourous.

Nous ne voyons pas trop ce que l’on pourrait répondre à ce raisonnement.

Un autre motif qu’il donne, et qui est assez plausible, c’est que, s’il avait les trois cents francs qu’il faut pour s’équiper, il s’empresserait d’acheter un habit noir pour remplacer le sien, dont les coutures blanchissent, dont les boutons s’éraillent. Il se procurerait des bottes sérieuses, car les siennes rient aux éclats, et rien n’est plus sot qu’un sot rire, s’il faut en croire le proverbe grec ; il commanderait aussi un pantalon à son tailleur, afin de restaurer un peu son élégance, qui périclite visiblement.

Ensuite, il lui répugne de paraître déguisé dans les rues en dehors des jours de carnaval, surtout quand le déguisement consiste en un bonnet de sauvage, un habit indigo, relevé d’agréments sang de bœuf, écartelé de buffleteries badigeonnées au blanc d’Espagne, avec une giberne qui vous bat l’opposé du devant, un briquet et une baïonnette, gigantesques breloques placées à l’envers, qui vous tambourinent odieusement sur les mollets, ou sur les tibias, si vous n’avez pas de mollets.

Mais, hélas ! tout n’est pas rose dans le métier de réfractaire ; au contraire !

Autant vaudrait être caniche d’aveugle, femme galante, cheval de fiacre, servante de vieille fille, acteur à la banlieue, souffleur au Cirque-Olympique pendant les représentations de Carter, culotteur de pipes, retourneur d’invalides, promeneur de chiens convalescents, journaliste même, si la pudeur permet de s’exprimer ainsi !

Le voleur à la tire, le rinceur de cambriole, ceux qui font la grande soulasse sur les trimards, mènent une vie charmante en comparaison.

Le réfractaire qui avait pris son logement sous le nom d’une femme ou d’une personne partie pour Tombouctou, au risque de voir son prête-nom, femelle ou mâle, lui dérober son acajou, a été dénoncé par un ami de cœur qui mériterait de s’appeler Goulatromba, comme celui du bohème Zafari, dans la pièce de Ruy Blas, ou par son propriétaire, avec lequel il s’est querellé sous prétexte de terme à ne pas payer, ou de réparations à faire.

En vain il s’est intitulé madame Durand, mademoiselle Zinzoline, ou même madame Mitoufflet ; en vain il a essayé d’entrer dans la peau des septuagénaires les plus notoires ; en vain il a tâché de s’escamoter, de s’annihiler, de se supprimer, de se rayer du nombre des vivants, de devenir une ombre impalpable ; le conseil de recensement a les yeux ouverts sur lui, il le connaît, sait son nom véritable, ses prénoms et son état. Rien n’a servi.

Pourtant ce malheureux ne recevait ses lettres que par une main tierce, quatre jours après les rendez-vous ou les invitations qu’elles indiquaient ; il lisait les journaux de la semaine passée ; il sortait avant le jour et ne rentrait qu’à la nuit tombante pour ne pas être connu dans son quartier, et ne pas faire naître à quelque droguiste, assis sur le pas de sa porte entre une caisse de pruneaux et un tonneau de jus de réglisse, cette idée sournoise et dangereuse :

— Mais ce monsieur n’est pas de notre compagnie ?

Avant cette terrible dénonciation, le réfractaire n’existait qu’à l’état d’utopie, de rêve, de fiction, ou plutôt il n’existait pas, ce qui vaut bien mieux ; il était parvenu à se faire un petit néant très-confortable, dans lequel il vivait comme un rat dans un fromage. Tout ce bonheur n’est plus ; il est constaté maintenant et prouvé aussi clairement qu’une règle d’arithmétique, il est forcé d’être lui-même.

À dater de ce jour, il tombe chez son portier qui a beau prétendre ne pas le connaître, une neige de papiers plus ou moins incongrus (la comparaison serait plus juste si les papiers étaient propres), tels que billets de garde, citations au conseil de discipline, condamnations en vingt-quatre heures de prison, et autres balivernes en français civique.

Ces papiers alimentent pendant longtemps le cabinet intime du réfractaire, ou lui servent a allumer sa pipe quand il fume ; il fume toujours. Les vingt-quatre heures se changent en quarante-huit heures. Les soixante-douze heures ne vont pas tarder à paraître.

Pour ne pas être pris, le réfractaire laisse pousser ses cheveux s’il les avait courts, les coupe s’il les avait longs ; met un faux nez de cire vierge comme Edmond du Cirque-Olympique, quand il jouait l’empereur ; se colle des favoris postiches et se grime en sexagénaire pour dérober son signalement aux mouchards, aux argousins et aux gardes municipaux.

Comme il sait que le renard est bientôt pris s’il n’a qu’un terrier, il en a cinq : trois à la ville et deux à la campagne ; un cabriolet de régie stationne perpétuellement à la porte de derrière du logement qu’il habite ce jour-là ; car, à l’exemple de Cromwell, il ne couche jamais deux fois dans la même chambre, et, comme les chats, ne dort jamais que d’un œil.

La nuit, il a des cauchemars affreux ; la patte de crabe d’un mouchard lui serre la gorge et l’étouffe, il voit les spectres de Dubois, de Ripon, de Duminil, de Werther, déguisés en hommes et vêtus d’effroyables redingotes vertes ; ils agitent de fulgurantes condamnations à soixante-douze heures, et ricanent affreusement en montrant leurs crocs et leurs défenses de sanglier. Des portes doublées de fer se referment sur lui ; il entend grincer des verrous, glapir des gonds mal graissés ; des geôliers avec des bonnets de peau d’ours, comme ceux des mélodrames, traînent des paquets de chaînes et de ferrailles ; il descend des escaliers, parcourt des corridors sans fin, dont les rougeâtres reflets éclairent la profondeur ; ces corridors deviennent de plus en plus étroits, les murailles se rapprochent, les voûtes se baissent, les planchers s’élèvent : il se trouve pris dans un entonnoir de pierre, incapable de faire un mouvement, enchâssé comme une pomme dans un ruisseau gelé ; après des efforts inouïs, il parvient à jeter de côté sa couverture et s’éveille.

Ô ciel ! il est déjà quatre heures et demie, un pâle rayon du jour pénètre à travers les côtes des persiennes, toujours fermées pour faire croire à une absence ; le soleil va se lever, et avec lui le garde municipal.

Le réfractaire se précipite à bas du lit, chausse à la hâte des bottes non cirées, un habit peu brossé, un pantalon crotté de la veille, et, sans s’être ni lavé, ni peigné, ni rasé, se glisse dans la rue en longeant les maisons, comme une hirondelle qui veut prendre des mouches.

La lueur bleue du matin lutte péniblement avec les jaunes clartés des réverbères qui grésillent dans le brouillard ; la ville dort encore d’un profond sommeil ; à peine si les laitières, entourées d’amphores de fer-blanc, commencent à déboucher au coin des rues avec leurs petites charrettes ; il n’y a que les rogomistes dont les boutiques soient ouvertes ; les vidangeurs y boivent le blanc du matin. Le réfractaire, malgré son goût pour les parfums, est bien forcé, transi de froid et las de battre l’antiffe (c’est le terme), d’entrer aussi chez le rogomiste, et, sous peine d’être assommé, il se voit obligé de trinquer avec ces messieurs.

Enfin, un cabriolet paraît ! le réfractaire le hèle, et il part pour la cachette campagnarde ; il n’a pas encore été pris ! Werther arrive et trouve l’oiseau déniché.

Ordinairement, le réfractaire est un homme de construction athlétique, qui broierait d’un coup de poing l’Hercule de marbre des Tuileries ; il a cinq pieds et demi de haut, six de tour, et porte cinquante livres à bras tendu ; ce qui fait qu’il n’a pas besoin, pour se rassurer sur son aptitude physique, de jouer au militaire comme les petits bourgeois rachitiques et bossus, qui n’ont pas d’autre moyen de prouver à leur femme qu’ils sont très-forts et très-redoutables. Sa prétention est d’être malade ; au besoin, il vous soutiendrait qu’il est mort et déjà très-avancé, sentez-le.

Il faut le voir devant le conseil de révision ; il se fait apporter en brancard ; quatre estafiers le soutiennent sous les bras ; avant de partir, il a fait son testament ; il va passer tout à l’heure, et retourner aux cieux, d’où il n’aurait pas dû descendre ; il s’est fardé avec du bleu de billard et du karis à l’indienne ; il a la fièvre jaune ou le choléra bleu de ciel, un choléra des plus asiatiques. Sauvez-vous, ces maladies sont contagieuses !

Le chirurgien de la légion, qui est le vrai médecin Tant-Mieux de la fable, et ne croit à aucune maladie, l’envoie se débarbouiller, et le déclare apte au service.

Le réfractaire, battu sur ce point, s’avoue timidement phtisique au troisième degré ; sa vaste poitrine, où les soufflets d’une forge joueraient à l’aise, lui inspire cette prétention qui heureusement ne fut jamais plus mal fondée ; la phtisie ne réussit pas mieux que le choléra-morbus, et la fièvre jaune. Alors, le réfractaire désespéré, acculé dans ses derniers retranchements, comme le sanglier de Calydon, prétend être atteint d’une endocardite très-perfectionnée.

L’endocardite est la dernière maladie inventée par les médecins à la mode ; elle consiste dans un certain épaississement de la membrane interne du cœur, qui n’est pas des plus aisés à constater ; les symptômes en sont très-agréables : vous n’aviez pas l’endocardite, vous étiez maigre, jaune, mal portant ; dès que vous en êtes atteint, votre figure se remplit, se colore ; vous avez l’œil d’un éclat admirable, l’embonpoint satine votre peau, vos bras se développent, vous devenez ce que les portières appellent un bel homme.

Le chirurgien, étonné d’une si belle maladie, déclare que l’endocardite existe en effet, mais que l’endocardite est plus propre que tout autre au service de la garde nationale.

Le réfractaire se retire après avoir grommelé quelque injure contre les membres du conseil de révision, qui sont de vénérables marchands de suif, d’augustes menuisiers, de magnanimes fabricants de bas de filoselle et de petits avocats chafouins, à l’œil vairon, au teint bilieux, qui débitent de grands réquisitoires et s’exercent à demander des têtes en mouchant la chandelle avec leurs doigts.

C’est alors que commence une effroyable persécution ; l’orgueil des charcutiers, blessé au vif, se soulage par des poursuites furibondes. Jamais assassin, jamais voleur, jamais accusé politique ne fut traqué aussi rudement.

Lorsque ses terriers sont éventés, l’infortuné n’a d’autre ressource que d’avoir quelques bonnes fortunes. C’est là le plus triste : il déploie ses grâces les plus exquises ; il est adorable, il est charmant, et fait si bien qu’on oublie de le renvoyer ; voilà un gîte de plus.

Mais les municipaux connaissent les affaires de cœur : Werther paraît ; mieux vaudrait l’amant ou le mari même, un pistolet dans chaque main.

— Monsieur, je viens pour vous arrêter.

— Ah ! très-bien ; déployez votre commissaire et son écharpe ; je ne suis pas assez lié avec vous pour ne pas faire de cérémonie.

Werther n’a pas de commissaire sur lui, et va chercher le plus voisin. Pendant qu’il essaye d’éveiller l’auguste fonctionnaire, le réfractaire, vêtu d’un simple pantalon, se jette dans une voiture et se sauve chez des parents qu’il a dans une banlieue quelconque ; ses habits ne lui parviennent que deux jours après ; pendant tout ce temps, il est resté roulé dans une couverture, l’habit de son parent étant beaucoup trop étroit pour lui.

Cette vive alerte le fait redoubler de surveillance ; la consigne des portiers est plus sévère que jamais : il faut, pour parvenir jusqu’à lui, un mot d’ordre, une manière cabalistique de sonner ; les gens les plus connus deviennent suspects au cerbère, qui ne laisse passer personne ; votre père est renvoyé comme mouchard ; votre meilleur ami, comme garde municipal.

Quelques jours après, le réfractaire reçoit des lettres dans ce genre :

 

« Mon chéri,

« Je suis venue l’autre jour pour te voir et passer une partie de la journée avec toi ; nous aurions été dîner ensemble, et ensuite au spectacle ; j’étais libre jusqu’à demain… ; jusqu’à demain ! pleure de rage en y songeant.

« Mais ton portier n’a pas voulu me laisser monter : il a prétendu que tu n’y étais pas, et que, d’ailleurs, je devais être un gendarme déguisé.

« Que veut dire cette folie ? Ah si tu me trompais, je saurais me venger.

« Alida. »

 

 

« Mon vieux,

« Ah çà ! quel diable de portier as-tu donc ?

« Hier, je suis venu pour te rapporter les cinq cents livres que je te devais, il m’a reçu comme plusieurs chiens dans un jeu de quilles : il m’a dit qu’on ne te connaissait pas dans la maison.

« J’ai vu qu’il me prenait pour un créancier, alors j’ai exhibé le bienheureux sac, et je lui ai montré que j’étais précisément le contraire d’un tailleur ; mais il m’a répondu qu’il connaissait ces frimes-là, et qu’il était un vieux dur-à-cuire, ayant servi sous Napoléon.

« J’ai insisté, et j’ai vu le moment où il allait me casser son balai sur la tête.

« Maxime de Boisgontier »

 

Ce n’est pas tout.

La tête du malheureux réfractaire est mise à prix. Le mouchard qui l’arrêtera aura une prime de vingt francs (cinq francs de moins que pour un loup, cinq de plus que pour un noyé), car il faut que le crime de lèse-épicerie soit puni.

M. Crapouillet a déclaré que, si le délinquant ne montait pas sa garde, il vendrait son uniforme et enverrait la garde nationale à tous les diables. M. Pitois, M. Jabulot et M. Gavet sont du même avis.

Des argousins font pied de grue à toutes ses portes, de façon qu’il est prisonnier dans la rue, et ne peut plus rentrer dans aucun de ses domiciles.

Le réfractaire passe alors à l’état de vagabond : il se promène toute la journée sur les boulevards extérieurs, couche dans les fossés ou sur les arbres ; il ne demeure plus, il perche. S’il avait toujours cinq sous, il représenterait le Juif errant au naturel ; sa barbe longue ajoute à l’illusion, sa mine hâve, son manteau frangé de crotte ne la détruisent pas ; aussi, les gendarmes qui passent lui trouvent l’air suspect et le soupçonnent fort d’être quelque galérien échappé du bagne.

L’inquiétude visible avec laquelle le réfractaire suit leurs mouvements ne leur laisse aucun doute, car le réfractaire est comme Bertrand, il n’est pas maître de ça. Ils fondent sur lui la pointe haute, en lui criant d’une voix plus éclatante que le clairon du jugement dernier :

— Brigand, rends-toi, ou tu es mort !

Il se rend.

— Tes papiers, tes passe-ports, ton livret, forçat libéré !

— Je n’ai ni passe-ports ni livret ; je me promène.

— Ah ! ah est-ce qu’on se promène avec une figure comme ça ? Tu fais semblant de te promener, mauvais républicain ! Je suis sûr que tu es marqué. Qu’avons-nous fait ? avons-nous tué notre mère ou forcé la caisse à papa ? avons-nous fait suer le chêne et couler le raisiné ?…

Et autres gentillesses de gendarme à forçat.

Le pauvre diable se défend de son mieux ; il décline ses nom, prénoms, qualité.

— Suis-nous chez le brigadier, et marche droit, Papavoine, ou nous te mettrons les poucettes.

Il suit les deux gendarmes à cheval, allongeant le pas tant qu’il peut ; il sait que le fort de la gendarmerie n’est pas le raisonnement.

Les gamins s’attroupent ; les femmes se montrent sur le pas des portes avec leurs marmots au bras.

— A-t-il l’air féroce !

— Il doit avoir tué bien du monde. Ô le gueux ! ô le scélérat !

— C’te balle ! oh ! c’te taule !

— J’espère bien qu’on lui coupera la tronche, à celui-là.

— Je parie que je l’attrape à la sorbonne avec un trognon de chou.

Le parieur gagne : le réfractaire, furieux, veut s’élancer sur le moutard pour lui appliquer une solide correction ; mais les gendarmes le retiennent.

Au bout d’une lieue, on arrive enfin chez le brigadier, qui trouve le cas grave et renvoie le prévenu devant le commissaire. Le commissaire demeure justement une lieue plus loin et c’est encore un demi-myriamètre à faire au derrière d’un cheval : c’est agréable.

Heureusement, le commissaire est un homme de bon sens, ou à peu près ; le prisonnier se réclame de personnes connues, et le commissaire le fait mettre en liberté, non sans lui avoir débité un petit discours paternel sur les hautes vertus de l’ordre de choses et l’excellence du gouvernement actuel, à qui rien n’échappe, et qui fait arrêter même les innocents, de peur de manquer les coupables.

Le réfractaire, parfaitement édifié, se retire, et, décidé à braver tout, rentre effrontément chez lui, où il vit dans le plus profond repos pendant une semaine ; car les argousins ne peuvent se figurer qu’un homme qui a dix-huit jours de prison puisse ne pas être en fuite, et le cherchent dans les quartiers les plus éloignés.

Cependant, chaque coup de sonnette lui cause un soubresaut nerveux et le fait plonger dans une armoire, où il entre en trois morceaux.

À la fin, les argousins se ravisent et reviennent se mettre de planton à sa porte.

Un beau matin, en sortant de chez lui, il sent la patte d’un garde municipal lui tomber sur le collet comme une massue ; il entend tonner à son oreille cette phrase formidable :

— Au nom du roi et de la loi, je vous arrête !

Quatre argousins, munis de gourdins monstrueux, se tiennent à distance ; la résistance est impossible ; le commissaire est là, tout auprès dans un fiacre, avec son écharpe et sa commission, rien n’y manque.

Le réfractaire est pris. Il a fallu pour cela un an de poursuites, et cinq mouchards qui auraient beaucoup mieux fait d’appliquer leur intelligence à prendre des voleurs et des assassins.

Cette résistance a coûté au réfractaire :

Deux cents heures de cabriolet, ci 400 francs, sans compter les pourboires ; deux logements à la campagne de 300 francs chacun, ci 600 francs ; trois appartements en ville, ensemble 2,000 francs ; pourboires donnés à la contre-police du réfractaire, 100 francs ; la perte d’un ami qui devait 500 francs, ci 500 francs ; la perte de mademoiselle Alida, qui ne peut s’évaluer que moralement ; la perte de cent journées de travail, valant 2,000 francs au moins ; achats de faux nez, moustaches et favoris postiches et autres déguisements, 150 francs ; affaires manquées, billets protestés pendant des absences, 1,000 francs. Total : 6,750 francs.

Sans compter les rhumes de cerveau, les fluxions et autres incommodités attrapées dans les fuites nocturnes et matinales, et les brusques passages d’un lieu chaud dans un lieu froid.

Pendant un an, le réfractaire a connu les angoisses des voleurs et mené la vie errante des proscrits, la plus atroce vie que l’on puisse imaginer, le tout pour aboutir à ce Spielberg du quai d’Austerlitz, que l’on nomme Maison d’arrêt de la Garde Nationale, et plus familièrement, Bazancourt, ou l’Hôtel des Haricots.

Peintres, artistes, sachez-lui gré de ce magnifique entêtement à ne pas porter un costume ridicule de forme, et dont les couleurs sont d’une fausseté révoltante ; car c’est pour cela même qu’il ne veut pas être garde national.

1839.

Source : Contes humoristiques, 1880.

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