UNE DE DEMAIN

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Elle a six ans.

Dans sa jolie et délicate figure, il n’y en a que pour ses grands yeux de pervenche claire, ses pauvres yeux meurtris de jeune femme trop aimante.

Elle semble un exquis bibelot d’un prix fou, un bibelot rare, inquiétant.

Souvent, elle est joueuse et gaie comme les petites filles de son âge, et puis, des fois, sans raison, voilà qu’elle s’arrête de rire pour regarder rien, fixement, là-bas.

Quand on lui parle, alors elle vous répond n’importe quoi, d’une voix si drôle.

Dimanche, on s’amusait à faire conter aux enfants leurs petits flirts.

— Et toi, Jeannette, qui épouseras-tu quand tu seras grande ?

— J’épouserai Georges.

— Qui est-ce, Georges ?

— C’est un petit garçon que nous jouons avec aux Champs-Élysées.

— Il est gentil ?

— Oh non ! même il est très laid, avec ses cheveux rouges et son vilain gros nez.

— Il est riche, alors ?

— Je ne crois pas, parce qu’il a des pièces à la manche de sa veste.

— Eh bien, alors ?

Elle demeure une grande minute sans répondre. Un long frisson de volupté recroqueville ses petites épaules, et, le regard loin, elle dit d’une voix de somnambule :

— Oh ! j’aime bien quand il m’embrasse !

Source : Alphonse Allais. Pas de bile ! Flammarion, 1893.

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